• PUPARIA ou Le rêve du papillon

    Je réveille un peu ce blog pour parler d'un très court travail animé que je viens tout juste de découvrir, et qui m'a déjà complètement soufflée. 

    Laissez moi donc vous parler de PUPARIA, que je sous-titrerai "le rêve du papillon". 

     

    プパリア - PUPARIA ou l'évolution parallèle

    PUPARIA (sous-titre japonais à confirmer) 

    Réalisateur : Shingo Tamagawa 玉川真吾

    Durée: 3 mins. 

    Date de sortie: 20 novembre 2020. 

     

    Ce qui frappe immédiatement, avant même de commencer à regarder le film, est déjà le style graphique qu'on entraperçoit sur la miniature de la vidéo. Et boy, qu'est-ce que ça promet. A peine quelques secondes, et on est accueilli par le "générique", qui allie musique "naturelle", faite de percussions et d'un rythme clair et simple, à une image visuelle qu'on ne peut au départ comprendre mais qui déjà par son style, intrigue. A ce moment-là de la séquence animée, ceux qui se rappellent de leurs cours de sciences de la vie se rendront sûrement compte qu'il s'agit d'une vue microscopique d'un quelconque organisme vivant. 

    Et pourtant, le thème est déjà donné, c'est un véritable coup dans l'estomac, sans détours, que donnent ces premières secondes. Que ce soit pour ceux qui ont connu cette période particulière de l'animation japonaise de leurs propres yeux, ou ceux qui, étant nés plus tard (comme dans mon cas), s'y sont plongés bien après, on est totalement ramenés dans le temps. 

    Cet étrange ovni, dont la description est plus que méta ("Something is about to change drastically, we can only be witnesses to it"/ Quelque chose est sur le point de profondément changer, dont nous ne serons que témoins), nous offre un plongeon inattendu dans l'univers de l'animation surréelle, qui n'est pas sans rappeler le style du regretté Satoshi kon (Paprika, Seraphism, Millenium Actress, Paranoia Agent).

    プパリア - Puparia ou l'évolution parallèle

    La couverture d'un des volumes de Mushihime/Nuisible, avec... Des papillons.

     

    Mais le style graphique me fait tout particulièrement penser à un mélanges de plusieurs univers, notamment  le manga Nuisible/Mushihime, Nausicaa de la vallée du vent, ou encore le style fouillé, recherché mais coloré et étrange des animes de la fin des années 80 et des années 90 en général. L'ensemble en deviens totalement hypnotique. 

    PUPARIA - garden scene

    Le traitement des opposés :

    On s'apercevra d'autant plus rapidement des similarités avec le film Akira (auquel Satoshi Kon a également participé, et qui est sorti en 1988). L'intro qui débute avec des percussions, certains éléments organiques (comme les racines entremêlées), la balance des couleurs, qui met en avant le rouge, le gris et le blanc. Ce sont des couleurs à la fois opposées (artificiel humain/gris béton, et rouge organique/sanguin) mais également complémentaires (se rapprochant tous deux d'éléments naturels, organiques et géologiques). 

    Aussi, la division s'en fait encore plus ressentir, lorsqu'on découvre les personnages principaux de cette fable. Il s'agit toujours de personnages d'apparence féminine (sauf pour l'homme dans le bâtiment), qui sont soit très proches de la nature, soit qui en font partie intégralement. Leurs couleurs sont douces et aux teintes chaudes, en opposition à la foule qui se masse derrière la créature mi-humaine, mi insecte. Leurs vêtements sont certes colorés, mais leurs visages sont froids et presque inexpressifs, comme de la pierre. On pourrait penser que ce sont des statues, jusqu'au moment où certains d'entre eux clignent des yeux. On ne s'y attends presque pas. On les voit figés, sans réaction face à ce qui se déroule devant eux. La couleur représente donc le mouvement, la vie. 

    PUPARIA - the hybrid creature

     

    Un hybride entre humain et papillon?

    Et en parlant de cette créature... J'y reviendrai peu après, mais il est intéressant de noter qu'elle affiche les deux couleurs principales, le gris et le rouge, comme une sorte de fusion. 

    L'art naif s'y invite: 

    プパリア - Puparia ou l'évolution parallèle

    Gauche et milieu: Henri Rousseau. Droite: Martine Clouet. 

    Le court métrage se pare également de couleurs vives mais qui ne sont pas criardes. C'est plus comme une sorte d'estampe, d'aquarelle, qui reprends toutefois certains codes des peintures issues de l'art naif, dont Henri Rousseau est très représentatif, avec ses peintures de jungle. Quand on reprends également les fondamentaux de l'art naif, c'est à dire une peinture ou représentation ne suivant pas forcément les règles de la perspective ou des dimensions, et qui évoque un univers enfantin, on est en plein dedans. 

    On a l'impression de se balader dans des tableaux, dont les personnages s'animent, mais dont les arrières plans ont l'air plats. Comme une sorte de papier peint posé sur un mur. 

    Et s'il s'agissait justement d'un rêve? 

    Je vais à présent faire un rapprochement entre l'univers presque irréel de ce court métrage, et une histoire ancienne: l'histoire de l'homme qui rêvait d'un papillon. Le Rêve du Papillon est une fable de Tchouang-Tseu, qui dans le chapitre "Discours sur l'identité des choses", qui parle d'un Sage ayant fait un rêve dans lequel il était un papillon. Mais en se réveillant, il est pris d'un doute, et se demande s'il n'est pas plutôt un papillon rêvant qu'il est un Sage. 

    Ma théorie est la suivante: nous suivons le rêve de ce papillon, qui rêve de l'homme. 

    プパリア - PUPARIA ou l'évolution parallèle

     

    Un papillon aux ailes fermées se cache derrière cette créature ?

    On sait déjà que l'opposition nature/être humain est présente dans le court métrage. l'imagerie du papillon apparaît également à plusieurs reprises, de façon détournée ou plus directe. C'est en jouant avec notre perception que le film rends certaines références à l'insecte troubles, ce qui est notamment le cas de l'étrange premier animal que l'on voit. Il suffit d'un œil se fermant et s'ouvrant à un endroit bien particulier, et d'une paire de pattes arrières, pour qu'on ne reconnaisse plus la forme des ailes fermées d'un papillon. 

    プパリア - PUPARIA ou l'évolution parallèle

    A gauche: Bombyx mori. A droite: Saturnia pyri. Des papillons qui ont peut-être inspiré le réalisateur...

    Le papillon mimique l'animal, mais entraîne également l'humaine qui a le malheur de l'approcher. Quelques petits papillons lumineux virevoltent autour du personnage de la jeune fille, la poussant finalement à s'aventurer plus loin. Ces petits papillons sont présents sur plusieurs plans, nous rappelant sans cesse l'omniprésence de l'insecte. 

    Un peu après, dans le bâtiment, le papillon se prends pour une sorte de statue, avant de soudainement faire apparition en tant que chrysalide, qui glisse très rapidement vers l'avant, à la fois vers le personnage masculin que nous venons de voir, mais également vers nous, qui regardons ce court métrage. On notera l'arrière plan déformé façon fish-eye, qui ajoute une dimension dérangeante et oppressante à la scène. 

    プパリア - PUPARIA ou l'évolution parallèle

    Une scène avec un objectif déformé, où on peut voir le grand soin apporté aux décors. 

    Vers la fin, on se retrouve face à une créature hybride, entre le papillon et l'homme. Il n'y a plus de séparation entre les deux êtres, comme l'état confus dans lequel on se trouve au réveil. Et comme pour réaliser l'étrange prophétie en description ("nous ne serons que témoins"), la foule compacte d'être humains est immobile, tétanisée, et ne peut que regarder. 

     

    L'évolution est cyclique: 

    L'évolution est naturelle, et se trouve dans tout, qui s'agisse de la faune ou de la flore, de l'être humain, ou de procédés artificiels. Si le court métrage nous montre l'évolution du papillon et son désir d'émuler l'être humain jusqu'à en adopter l'apparence, il nous renvoie également directement à l'évolution des techniques d'animation. Chaque nouvelle technique d'animation s'inspire de ce qui a été fait auparavant, tout en améliorant les techniques et en innovant en ce qui concerne les techniques mises en place. Les diverses sources d'inspiration enrichissent toujours un peu plus cet art particulier, différentes influences nourrissant les animateurs d'hier et de demain. L'animation est une chose vivante, en constant mouvement, tout en ne reniant jamais ses origines, ou ses diverses phases. Ce film, c'est une déclaration d'amour à ce qui ne se fait plus que rarement de nos jours. Une évolution utilisant des influences anciennes pour créer de la nouveauté, et qui se sert de notre mémoire collective tout comme de notre propre imagination, pour émuler sans jamais simplement le copier, une animation qui vous prends aux tripes. 

    Avec un certain sentiment de déjà vu, l'impression que tout le film est une sorte de rêve, d'hallucination, qui nous dit "rappelle-toi, tu as déjà vu ça quelque part", ce court métrage est totalement inédit tant sur le fond que la forme. On sent qu'il y a tellement de richesse, d'influences qui se cachent derrière ce travail impressionnant, que j'en effleure sûrement à peine la surface moi-même. On ressent l'énorme travail, le soin apporté tant sur la qualité de l'animation, que dans les innombrables détails que seuls plusieurs visionnages peuvent dévoiler. 

     

    Récapitulons donc, veuillez-vous, les points qui font que ce court métrage mérite le visionnage : on prends une ancienne fable onirique, à laquelle on insuffle le style d'Akira, tout en conservant une forte attache au thème de la nature, avec un traitement graphique incomparable, s'apparentant à une succession de tableaux se mettant en mouvement devant nos yeux. 

     

     

     

     


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